Twitter est-il pour tout le monde ?
Comme l’harmonie des sphères a l’air parfaitement réglée, il se trouve qu’hier un article a été posté sur slate.fr (http://www.slate.fr/story/11825/twitter-facebook-journalistes-ego), illustrant de manière assez frappante mon propre propos du vendredi précédent : http://www.do-as-i-say.com/notes/2009/10/twitter-explique-a-ma-maman/.
Titiou Lecoq nous y explique pourquoi le « réseau social » Twitter « ne va pas conquérir le monde », en reprenant l’argument (fort juste au demeurant, et déjà développé notamment ici http://www.ecrans.fr/Sur-Twitter-on-se-suit-sans-trop,7483.html) selon lequel il ne faut pas se laisser avoir par l’illusion d’optique qui cache qu’en partie que le phénomène Twitter est créé et entretenu par une toute petite frange de la population internetesque, celle qui l’utilise, et qui en parle, et qui est la population qui parle sur internet, et qui parle de son utilisation dans une sorte de cercle sans aucun doute égocentré (quelle surprise) se nourrissant lui-même à l’infini ou presque.
L’article de slate.fr est bien étayé par ailleurs ; il rappelle, s’il en est besoin, que la majorité des internautes n’utilise pas Twitter, n’est pas drogué de l’info en continu, et que si vous n’avez pas des infos capitales à y poster, ça n’est effectivement pas d’un grand intérêt (mais j’ai comme l’impression qu’on dit là « si tu ne dis rien d’intéressant, ça n’est pas intéressant », ce que je ne me risquerai pas à contredire malgré mon goût pour la rhétorique).
Il pointe aussi le fait que tout ce qui relève de l’info pratique peut tout à fait être répandu par d’autres biais (Facebook par exemple), ce que personne n’a cherché à nier non plus – heureusement que les infos peuvent être diffusées par plusieurs médias, sinon on serait quand même dans la mouise.
Il pilonne enfin — c’est sa thèse de fond, confer l’image d’illustration choisie — la sphère webjournalistique/blogueuse et sa propension souvent ridicule à gonfler son égo jusqu’à l’explosion, ou à chercher à montrer qu’on a bien la plus grosse, point sur lequel il n’y pas grand chose à redire non plus.
Un mauvais procès
Bref, je suis d’accord avec l’essentiel de ce qui y est écrit.
Mais l’article me semble tout de même trahir une incompréhension de la chose Twitter, souvent entretenue par ses propres défenseurs d’ailleurs. Non, Twitter n’est pas un réseau social. Il n’est pas destiné à concurrencer ou remplacer Facebook, MSN, l’email ou les blogs — ou alors, c’est une erreur stratégique qui frôle la débilité.
Si Twitter ambitionne d’être un réseau social, on peut dire en effet qu’il est mal barré : il faut rapidement supprimer la limitation de caractères, probablement rendre bijective la connexion entre les utilisateurs , rajouter plein de gadgets susceptibles d’attirer et de faire rester tout ce qui relève du ROFLMAO ou du MER IL ET FOU (désolé, il fallait que je le fasse)…
Mais non. Twitter est un outil polymorphe qui, comme j’essayais de le pointer l’autre jour ici, sert à ce qu’on en fait, ni plus, ni moins. Rien d’étonnant donc à ce que les « professionnels du web », qui sont en effet les premiers utilisateurs, aient pour l’instant surtout développé, à leur corps défendant ou non, le côté info en temps réel, promotion et branding, et clash deupoinzéro. Pour paraphraser une sentence que j’aime bien : on a le Twitter qu’on mérite.
Enfin, comme annoncé en début de post, L’article de slate.fr illustre le phénomène que je décrivais, et qu’on peut (re)formuler comme suit : si on ne prend pas un peu, voire beaucoup, de temps pour expérimenter Twitter, on pourra difficilement avoir compris à quoi ça pouvait servir.
Cela dit, je tiens à ajouter, si ça n’est pas assez clair, qu’il n’y a aucune obligation à se mettre à Twitter ni même, pour peu qu’on l’ait expérimenté suffisamment, à y rester, à trouver ça intéressant ou génial.
Sans même parler de l’ambiance facilement rebutante qui peut y régner quand nos grands blogeurs hexagonaux ou autres se démontent verbalement la tête ou exhibent leurs parties (en même temps, personne ne vous oblige à suivre des boulets infatués, hein…), je peux tout à fait concevoir qu’on ne trouve, pour le dire ainsi, rien à en faire, après tout. Pour répondre à la question du titre : non, Twitter n’est pas forcément pour tout le monde. Si ça ne vous intéresse pas, ça n’est ni un crime ni une tare.
En revanche, annoncer que Twitter ne peut servir à « créer du fond » et que « la limite de signes interdit la création de contenu », c’est montrer qu’on n’est pas rentré dedans (une fois encore, ça n’a rien d’obligatoire ou d’indispensable), et qu’on rate quelque chose sur la création (oui, c’est un gros mot) d’une façon générale.
Que la limitation à 140 caractères soit une sacré contrainte, c’est évident, mais c’est aussi un défi intéressant[1].
Cela étant, dire qu’on ne peut pas créer du fond (j’adore cette expression, ça me fait penser à une valise à double-fond) c’est faire un mauvais procès à Twitter, et lui reprocher de ne pas être ce qu’il n’a pas à être : il ne remplacera jamais le cadre d’un blog ou d’autre chose pour une certaine forme d’écriture. Le fond est toujours fond de sa forme, donc les contraintes d’un mode d’expression influent sur ce qu’on en peut faire, voire le structurent fondamentalement.
Nous sommes donc bien d’accord, je crois, sur le fait que penser que Twitter ou le « web de flux » sont supérieurs au web tout court, voire destinés à le remplacer, n’a pas vraiment de sens, car les modes et les niveaux d’expression s’additionnent, ils ne se remplacent jamais vraiment. Mais je ne sais pas trop qui a ce discours sur Twitter — pas moi en tout cas. Et ceux qui l’ont éventuellement sont de bien piètres avocats.
Toutes ces considérations, enfin, ne contredisent en rien le fait que le « niveau », sur Twitter, est bien inégal, voire pas terrible la plupart du temps. Mais ça n’est pas parce que les romans de gare pullulent qu’on doit jeter ou déprécier toute la littérature.
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La jolie illustration a été subtilisée ici.
- Maintenant que j’y pense, Cioran aurait sans doute adoré Twitter pour cette dimension là. [↩]
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mardi 20 octobre 2009 à 14 h 36 min
C’est marrant, tu prends beaucoup de pincettes pour répondre à l’article (mais on t’a rien demandé d’ailleurs) tout en respectant l’opinion de l’auteur d’origine. Mais je comprends, on est très vite mal compris sur certains media quand on est lu rapidement.
En fait, je crois que l’auteur Titiou avait prévu qu’on lui répondrait si j’en crois cet article : http://girlsandgeeks.blogspot.com/2009/10/twitter-marilyn-monroe.html
Hihi
Un point (quand même pour être un peu chiant) : tu compares twitter à un outil pour dire que qu’il y a autant de façons de voir Twitter que de gens qui l’utilisent, cet outil. Soit. Mais un marteau, c’est un outil. On fait tous pareil avec un marteau : on tape sur des clous, non ?
mardi 20 octobre 2009 à 14 h 42 min
Oh, je ne prends pas des pincettes, mais oui je veux être sûr qu’on ne se méprend pas sur ma réaction.
Quant à l’outil, tu imposes un exemple qui amène avec lui plein de présupposés que tu ne questionnes pas, coco : marteau, outil simple qui n’a qu’une fonction (encore que).
Mais si l’exemple tu prenais l’exemple d’un ordinateur, qui est un outil aussi, non..? On fait tous pareil avec un ordinateur ?
Bref, « outil », ça peut vouloir dire plein de choses. En l’occurrence, l' »outil Twitter », i.e. surtout son API, est loin de n’être qu’un simple marteau.
Donc je récuse ton analogie :)
EDIT : du coup j’ai rajouté « polymorphe », à « Twitter est un outil »…
mardi 20 octobre 2009 à 17 h 59 min
1. à ‘créer du fond’ je préfère ‘révéler le fond’.
2. Twitter est un média
3. c’est loin d’être fini
mercredi 21 octobre 2009 à 9 h 11 min
C’est en effet à la pratique que Twitter s’avère attachant. Comme beaucoup d’autres, j’ai eu d’emblée une attitude interrogative voire perplexe.
L’usage m’a fait comprendre les bénéfices de cette « chose » et en premier lieu une gazette professionnelle remarquable. Mentionnons aussi le fait de pouvoir interroger en temps quasi réel une communauté « d’amis » pour obtenir une info.
Le reste (audience, influence, concours de kiki) est effectivement plus anecdotique.
Un dernier point tout de même : Twitter peut être drôle (oui, amusant) et fait parfois l’objet de grosses #marrades en direct, notamment lors d’émissions de télé où la ménagerie habituelle se donne en spectacle.
mercredi 21 octobre 2009 à 9 h 24 min
La métaphore de l’outil n’est pas si naze ; Twitter c’est comme un tournevis, l’important (ou à tout le moins le plus intéressant) n’est pas la forme mais l’usage qu’on en fait ; avec un tournevis, tu peux visser certes, mais tu peux aussi te curer les ongles, sabrer le champagne ou encore, si vraiment t’es très très con, tuer quelqu’un avec.
Bref, ce qui est chouette avec un truc simple comme Twitter c’est de voir les usages qui en émanent. D’ailleurs de nouveaux usages apparaissent quasiment tous les jours. Certains trouvent des jobs avec, d’autres ont trouvé la plateforme ultime pour troller ou se trouver une vocation insoupçonnée de G.O, d’autres se font des potes avec qui ils finissent par aller boire des coups, d’autres encore se révèlent moutons en retwittant tout ce qui passe sans apporter de réelle créativité ; certains interagissent énormément tandis que d’autres syndiquent le flux rss de blog et basta. Quelques-uns s’essayent à ces interactions d’une forme nouvelle et abandonnent rapidement, tandis que d’autres deviennent complètement accros.
C’est une sorte de microrévélateur qui d’une certaine façon met en exergue, par sa forme extrêmement épurée, nos comportements et tendances naturelles à interagir en société. C’est rigolo, intriguant, passionnant et c’est pour ça que c’est chouette.
mercredi 21 octobre 2009 à 13 h 37 min
@niko : je n’ai pas dit que la métaphore de l’outil était naze (d’ailleurs, c’est moi qui l’ai faite), je dis juste qu’ensuite toute analogie tirée du champ lexical de la métaphore n’est pas forcément équivalente (c’est mon dada depuis le post http://www.do-as-i-say.com/notes/2009/08/le-carreleur-et-le-developpeur/ ). Si tu compares avec un marteau, tu ne tireras pas les mêmes « correspondances » qu’avec un ordinateur, un robot-mixer, un pinceau…
Sur le reste, on est bien d’accord que ce qui se passe sur Twitter ressemble bien à ce qui se passe dans la vie (de façon assez logique, puisque mine de rien, sur Twitter, c’est des gens…). Et comme dans la vie, il y beaucoup de trivial, d’inintéressant, de médiocre, mais aussi parfois des fulgurances de coquasse, de drôle, d’intelligent. Reste à savoir ce qu’on veut regarder ou mettre en exergue.
jeudi 22 octobre 2009 à 9 h 09 min
Tout cela me rappelle une remarque de je ne sais plus qui: «Quand l’imprimerie a été inventée, certains ont dit: « ça ne marchera jamais, les gens ne savent pas lire »».
jeudi 22 octobre 2009 à 14 h 08 min
@lolo: je réagissais à http://www.do-as-i-say.com/notes/2009/10/twitter-est-il-pour-tout-le-monde/#comment-119
vendredi 30 octobre 2009 à 1 h 07 min
Avant twitter, j’étais taciturne, avec ça n’a rien changé, du coup j’ai arrêté.